
Un jouet de Saint-Nicolas
- Dis Mamy, Maman elle va revenir bientôt ?
- Ne t’inquiète pas Éric, elle est juste partie faire quelques courses ! Elle sera là dans cinq minutes.
- Tu me l’as déjà dit, avant que je ne mange la soupe !
Gilberte avait recueilli sa fille et son petit-fils.
Hélène, après son divorce, s’était installée dans un appartement , proche de l’école de son petit garçon.
Après avoir perdu son travail d’ouvrière à l’usine, les allocations qu’elle percevait ne suffisaient plus à payer les factures, elle avait revendu sa voiture, puis ses meubles, et depuis trois mois habitait chez sa mère.
Éric allait avoir 7 ans, la semaine prochaine.
Ce début d’après-midi, Hélène s’était présentée dans une agence d’intérimaires, qui recherchait une technicienne de surface pour un travail de nuit dans des bureaux. Elle avait été convoquée pour un entretien d’embauche.
Elle avait téléphoné pour annoncer fièrement à sa mère, qu’elle commencerait son nouveau travail dès lundi.
Elle lui demanda de reprendre Éric, dès la sortie de la classe à 15 h 30, qu’elle irait faire quelques achats avant de rentrer.
Il allait être 18 h et Gilberte commençait à s’inquiéter.
Elle avait laissé quelques messages sur le portable de sa fille, mais sans aucune réponse.
Éric avait sorti son plumier de son cartable et assis sur une chaise rehaussée de deux coussins, il allait se mettre à faire ses devoirs.
- Mamy, il commence à faire noir, elle est où ma maman ?
- Ne t’inquiète pas mon bouchon, elle a probablement raté son bus, et puis avec les fêtes qui approchent, il doit certainement y avoir beaucoup de monde dans les magasins.
Gilberte avait installé sa chaise devant la fenêtre de la cuisine qui donnait sur l’entrée de l’immeuble.
La pluie avait fait place à de petits flocons qui tombaient en tourbillonnant et qui tapissaient les trottoirs et la chaussée les rendant glissants. Elle guettait l’arrêt de bus qui était à une trentaine de mètres de l’immeuble. Dès qu’elle apercevrait Hélène, elle enfilerait son manteau et irait l’aider à porter ses paniers.
Les infos passaient à la télé et Éric avait depuis longtemps refermé ses cahiers. Il s’était assoupi dans le canapé.
Gilberte le recouvrit d’une épaisse couverture et rapprocha de son petit-fils l’unique radiateur à bain d’huile qui chauffait la pièce. Elle attendait le versement de sa retraite pour faire mettre un peu de mazout dans la citerne du chauffage central.
La petite aiguille de la pendule du salon allait se poser sur le 9.
La dame âgée regagna son poste d’observation, la neige avait recouvert tous les pas des gens qui quittaient ou revenaient dans l’immeuble. Elle laissa deux nouveaux messages sur le répondeur du portable de sa fille puis elle se décida à appeler la police.
Après plusieurs minutes d’attente, le Central lui conseilla d’appeler les hôpitaux. Gilberte lui signala qu’elle n’avait pas de bottin téléphonique, qu’elle gardait son petit-fils et qu’il lui était impossible de faire appel à un voisin. La voix masculine qui était au bout du fil prit ses coordonnées et lui promit de la rappeler.
Une demi-heure plus tard, Gilberte apprenait qu’Hélène avait été transportée aux urgences d’un hôpital.
Elle porta sa main à sa poitrine, sa respiration devenait difficile, des perles de sueurs couvraient son front.
- Madame, vous allez bien ? insista l’homme.
Gilberte regardait son petit bonhomme qui s’était relevé et qui criait :
- Mamy, tu ne vas pas mourir ! C’est Maman au téléphone ?
La grand-mère laissa glisser l’appareil de sa main et s’allongea sur le sol.
Éric prit un torchon de vaisselle, le rinça sous l’eau froide du robinet et le passa doucement sur le visage de la vieille dame, tout en lui tenant la main. Gilberte était pâle, on frappa à la porte. Éric, pensant qu’il s’agissait de sa maman, courut ouvrir.
- Bonjour mon garçon, nous avons reçu un appel et…
Le pompier aperçut Gilberte sur le sol froid de la cuisine, il appela le médecin qui l’accompagnait.
- Madame a fait un malaise, aidez-moi à l’installer dans le fauteuil.
Après quelques minutes, le visage de Gilberte reprit des couleurs. Éric était resté dans la cuisine avec un infirmier. Il regardait par la fenêtre les véhicules avec leur lampe rouge clignotante. Soudain, une voiture avec une lumière bleue sur le toit, se gara juste à l’entrée de l’immeuble. Éric vit en sortir sa maman, accompagnée par deux policiers. Elle avait le bras plâtré.
Tous les voisins étaient à leur fenêtre, sur leur balcon ou sur le palier. Hélène tête baissée traversait le couloir sans même oser les regarder.
Les yeux rougis, elle entra dans l’appartement et prit son petit garçon dans les bras.
- Tu pleures parce que tu as mal?
- Mon chéri, j’ai fait une grosse bêtise et je suis bien punie ! Va dans ta chambre, je vais venir t’y rejoindre.
Elle l’embrassa, Éric obéit.
Après avoir ausculté Gilberte, le médecin invita les pompiers à quitter l’appartement, signalant qu’elle était hors de danger. Dans la cuisine, Hélène assise à une table signait des documents que lui avait remis un des policiers.
Elle reconnaissait avoir enfoui sous son manteau, un camion de pompier qu’elle avait dérobé dans le rayon jouets du grand magasin. Elle avait été repérée par un des vigiles qui l’avait poursuivie dans le parking de la grande surface commerciale. Elle avait glissé sur le béton couvert de fine glace et s’était fracturé le poignet. Elle s’engageait à rembourser le jouet qui s’était cassé lors de sa chute.
- Que va-t-il se passer maintenant ? demanda-t-elle au policier.
- Il se peut que le magasin retire sa plainte, ou qu’il vous réclame de plus lourdes indemnités.
- Mon fils aura 7 ans dans quelques jours et je ne pouvais pas lui offrir ce camion, il en avait fait la demande dans la lettre à Saint-Nicolas que j’ai déposé dans une urne, au magasin !
Les policiers quittèrent l’appartement.
Hélène calée sur la chaise de la cuisine se laissa aller à sangloter. Gilberte était venue la rejoindre, elle avait entendu le policier lire la déposition.
- Je suis désolée, j’ai si honte d’en être arrivée là !
- Tu as été suffisamment punie et pour le petit je suis sûre que sa lettre sera lue.
Quelques jours passèrent, Gilberte retira de la boîte aux lettres, un courrier adressé à Hélène. Il provenait de la police et lui signalait que la plainte avait été retirée et que les poursuites avaient été abandonnées du fait qu’il s’agissait d’une première infraction.
Une autre lettre était adressée à Éric, il était invité par le Directeur du magasin à se présenter le 6 décembre, jour de son anniversaire, pour recevoir du Grand Saint-Nicolas, le cadeau qui lui était réservé.
M.H. (Hardenne)
05/12/2012